Headbang Lullaby : le feel-good movie grinçant de Hicham Lasri

Après sa première mondiale en février dernier à la Berlinale, Hicham Lasri a enfin présenté « Headbang Lullaby » avec émotion au public marocain lors d'une avant-première à l'Institut Français de Casablanca. Review.

Avec Headbang Lullaby, Hicham Lasri livre le récit hyper dense et totalement loufoque de la journée de Daoud, un flic complètement névrosé, posté sur un pont au milieu de nulle part en attendant le passage hypothétique du Roi Hassan II en pleine coupe du monde 1986. Sur ce pont le temps, ponctué de rencontres improbables, est terriblement long. L’occasion pour cet homme rongé par le vice et les remords de se remettre en question pour tenter de retrouver son âme et son humanité. 

A travers une fable quasi théâtrale - unité de temps, de lieu, et d’action - avec ce 5ème long-métrage, Hicham Lasri vient clôturer son cycle sur les années 80 avec « tendresse », dit-il, et une certaine légèreté qui suggèrent une forme d’espoir. Alors qu’il explore la complexité des Hommes et de leurs choix, par-delà le bien et le mal, le film cherche la lumière - sublimement maîtrisée par Charles-Hubert Morin - dans les années de plombs; cette lumière incarnée par Lotfi, le petit garçon à la fois fragile et brillant, véritable « cadeau de Dieu », qui vient ébranler les croyances et l'indifférence de Daoud.


«  De tous les films que j’ai fait celui-ci est probablement le plus "gentil". »


J'avais juste envie de faire un film sur la tendresse.

Vertige de l'humour

C’est là que l’oxymore du titre du film prend tout son sens. À la berceuse - lullaby - qui revient à plusieurs reprises dans le film, Lasri oppose le vertige, en référence aux headbangs des métalleux. Le vertige, persistant, c'est celui du policier, autour de qui la caméra tourne souvent comme autour d’un cadran pour invoquer le temps qui passe et l’histoire qui se répète, pour finir par l’épuiser. Le tic-tac incessant des horloges, le grésillement des postes de télé, les pleurs d'un bébé, les commentaires de foot psalmodiés : tout un tourbillon aliénant de pop culture, renforcé à coups d'images et de sons d'archives. Et comme une sorte de gimmick, les personnages principaux prennent chacun à leur tour "un coup à la tête" - traduction en arabe du titre - qui vient les réveiller et changer leur vie. Dans ce tableau poussiéreux, oppressant, presque kafkaïen, les traits sont volontairement grossis, les dialogues subtilement irrévérencieux, et les situations totalement grotesques. Et ça marche ! On rit autant qu'on est bousculé par l'insolence. Daoud représente l'état policier, l'injustice et le système; les habitants du douar sont le peuple, ignorant et soumis par la peur. Face au flegme et à la froideur du flic, il y a donc le défilé des villageois hystériques des deux douars voisins, suspendus dans le temps, qui se livrent un véritable western à la marocaine, où le vent qui souffle dans le hamri est celui de la résistance, diffuse, portée par la musique de Hoba Hoba Spirit et l'effronterie du personnage amazigh de Latefa Ahrar. 

L’esthétique de l 'absurde et de la médiocrité 

Dans ce village où tout est absurde et où l’agitation des habitants frôle la folie et nous rappelle la drôlerie du dernier Nadine Labaki, rien ne va mais, tout est nivelé par le bas et maquillé par l'hypocrisie et la bigoterie. Ce qui motive les hommes ? Les femmes, la curiosité, la délation, le pouvoir, la drogue, l’alcool… Les scènes saturées de couleurs, de dialogues, et de comique de répétition succèdent pourtant aux plans larges contemplatifs à la composition léchée. Même dans le kitsch le plus criard on trouve une certaine poésie : il y un peu de Magritte dans les nuages au dessus du pont, et du Dalí dans l'obsession des horloges. 

Ce déséquilibre esthétique vient faire écho au déséquilibre moral et politique de l’époque, car chez Lasri tout est millimétré, aucun détail n’est laissé au hasard ni a prendre au premier degré. Si le name dropping sonne comme un hommage, la référence à Khair-Eddine symbolise par exemple à la fois sa force de conviction mais questionne également son intégrité intellectuelle. Et si l'amazigh n'est pas sous-titré, au-delà de l'effet comique, c'est pour souligner l'enjeu politique et le fait qu'il n'est pas supposé exister dans les années 1980. Avec dérision, tout fini par trouver un sens au fur et à mesure du développement de l'intrigue pour finalement révéler l'épaisseur de gens simples qui essaient de trouver le bonheur avec ce qu'ils ont a portée de main. 


« Mon combat n’est pas contre les institutions mais pour les inspirations. Au Maroc on fait beaucoup de films mais peu de cinéma.


Des partis-pris assumés que sa productrice, Rita El Qessar, justifie par son instinct et son besoin irrépressible de créer, de raconter des histoires très personnelles, inspirées de vécus, d’angoisses ou de projections. Avec cette comédie noire, grinçante, mais parfois joyeuse, Lasri marque à la fois une rupture mais aussi un aboutissement dans son travail. A voir et à revoir pour en apprécier toute la complexité, en attendant la sortie de son prochain long-métrage, "Ici on noie les chiens", troisième volet de la trilogie canine.