La croisade s’amuse, de Rachida Khalil

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Rachida Khalil, comédienne et humoriste marocaine, revient sur scène avec un nouveau spectacle, une croisade contre les idées reçues et une séries de personnages justes et au cynisme glaçant. On y était, on vous raconte.

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Premier tableau : Rachida Khalil apparaît sur scène dans le rôle de Fatna, mère tunisienne, le visage voilé, l’humour colonial, et l’accent rouillé. Elle s’étonne des printemps arabes, de ses contradictions, d’un pays où les femmes étaient fières de leur “semi-liberté”, d’un pays devenu terre hostile faite de couvre-feux et d’obscurantismes. Elle raconte l’histoire de ses enfants, tous perdus. Ben Ali, Ben Laden, Kadhafi, ses trois fils fictifs, aux destins décadents qui ont eu la gloire et l’ont bafouée. Et sa fille Karima qui a disparu. S’ensuit une joyeuse collection de portraits vagabonds, de segments de vies imaginaires, de personnages fantasmés. Des scénarios acerbes, durs, et lucides, de ce que cette fille perdue a pu devenir.

Cette fille, on la voit d’abord en tenue de soirée, un verre de vin à la main, jouant la mondaine, aussi à l’aise dans son mépris que dans sa robe de couturier. Elle crache sur les pauvres, rit de la précarité, et se moque de son public.

Comme dans une imagination qui se bouscule, on passe d’un tableau à l’autre. On la retrouve tout de suite après dans le rôle d’une transsexuelle accompagnée de son ami Mohamed “momosexuel” (Otman Salil), qui se demandent ce qu’ils ont bien pu faire au bon dieu pour être “arabes et pédés”. Avec malice et sans ménage, ils s’en prennent aux archaïsmes de la pensée, et rallient tous les marginaux des sociétés arabes.

Karima, cette fille disparue dont la comédienne imagine les destins, sera aussi une mère indigne et délinquante, issue d’une banlieue inconnue, agressive et opportuniste. Un portrait dur et dérangeant, martyr de l’incompréhension, et des violences irréfléchies, symbole des intégrations échouées.

Rachida Khalil ne s’arrête pas en si bon chemin. Elle s’en prend aux assimilés aussi. Elle imagine une Karima franchouillarde mariée à un beauf raciste (Abderrahim Khalil), fidèle aux comptoirs des PMU, crachant leur venin sur les noirs, les jaunes, les “yougo”, et les “pakis” du 3ème étage. Un couple absurde, victime de la pire forme d’assimilation qui soit, l’assimilation dans l’échec et la bassesse, qui renie ses origines, pour tendre les bras à un Occident de l’ignorance et de l’amertume.

On retiendra aussi le portrait de Karima Hilton, “plus belle pute de Marrakech”, et le charme caustique de l’avant-dernier tableau, où la comédienne se laisse aller à un fantasme colonial inversé, une science-fiction régressive où les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, fédérés dans une république panarabe fictive, coloniseraient les peuples d’Europe, et en exposeraient les différentes ethnies dans des foires coloniales.

Rachida Khalil possède cette faculté naturelle de changer de personnage, de langage, d’accent, de diction, aussi vite qu’elle change de costume. Elle explore dans son spectacle un vaste répertoire de personnages travaillés, creusés, observés et imités, et offre à son public la jubilation d’une langue maîtrisée, des jeux de mots, des mots d’esprit, recherchés, subtils, et déroutants.

Ce qui est brillant dans la pièce de Rachida Khalil, c’est le jeu de miroir. Des portraits qui sont le cliché d’eux-mêmes. Des clichés pour combattre les clichés. Des personnages qui s’enlisent dans l’hermétisme de leur ignorance, faits d’idées reçues et d’archétypes vulgaires, mais des personnages qui ont la profondeur du regard attentif et la mémoire visuelle et sensorielle de ceux qui observent et qui s’indignent.

“La croisade s’amuse”, actuellement au Théâtre du Petit Montparnasse à Paris, du Mardi au Samedi, jusqu’au 30 Mars.