Manifeste : Arab is the new hype !
L'Orient a passionné, l'Orient passionne et l'Orient passionnera toujours
L'Orient dont il est question n'est pas celui bordé par le Caucase au nord et l'Atlantique à l'ouest, ce n'est pas non plus une communauté de destin homogène et uniforme dont les populations vibreraient d'une même force. L'Orient dont on vous parle est plus diffus, plus fantasmagorique, et emprunte davantage aux synesthésies baudelairiennes déclenchées par les velours imprégnés d'odeurs, les verreries aux éclats éblouissants, et les émois puissants procurés par des ailleurs méconnus. Cette fascination pour cet Orient là a donné lieu à l'orientalisme, mouvement emblématique du XIXème siècle, porté par des grands noms comme Delacroix, Ingres ou encore Renoir, qui ont nourri leur désir d'exotisme en fantasmant ces cultures, les transposant parfois de manière infidèle, incertaine, dans leurs univers oniriques, au risque certain de les dépouiller de leurs essences et de les déposséder de leurs authenticités. Ces orientalistes ont érigé une esthétique picturale orientale codifiée, se limitant à la citation de motifs et d'ornements, et figeant ainsi notre imaginaire et notre perception de l'Orient.
Edward Said, intellectuel palestino-américain, auteur du célèbre ouvrage L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident (1978), consacre les fondements de la pensée post-coloniale et théorise l'orientalisme, en lui attribuant "le but à peine voilé" dit-il, de "simplifier la conquête des pays arabes ou la mainmise sur leurs richesses par les Anglais et les Français d'abord, par les Américains ensuite, en leur fournissant des schémas faux mais légitimants et efficaces." L'image de l'Orient perçue jusque là serait donc une construction acquise, définie par et en fonction de l'Occident. une chimère qui nous a parfois séduits nous-mêmes "orienteux", fascinés par cette image évanescente certes, mais rutilante de l'Orient rêvé.
Vers un néo-orientalisme
La vision contemporaine et répandue de l'Orient est toujours aussi réductrice, et si l'on veut l'être tout autant on pourrait la résumer aux 3B: Bombers, Billionairs & Belly dancers. L'orientalisme classique se cristallise toujours autour de symboles dits orientaux: le oud passe en note de tête chez tous les grands parfumeurs, les zelliges et autres moucharabieh connaissent un regain d'intérêt, et les clichés autour de ce prétendu Orient résistent toujours.
Mais les printemps arabes sont passés par là et ont nourri un nouvel élan orientaliste, plus nocturne que solaire, séduit par les mouvements embrasés et les révolutions exaltées qu'à connus le monde arabe. L'Orient se pare désormais d'un voile plus rebelle et plus subversif, et attise le réveil d'un nouvel orientalisme. Le protestant de la place Tahrir sacré personnalité de l'année 2011 par le Time Magazine signe le début de ce néo-orientalisme, et explique les nouvelles tendances dans la perception de cet Orient, moins banal et stéréotypé, et beaucoup plus hype, à l'image de Nicolas Ghesquiere qui en 2007, fait du keffieh un accessoire de mode tendance et bohème pour Balenciaga, ou plus récemment encore la campagne سبحان de la marque de streetwear californienne Supreme.
L'Orient par les orientaux
Les printemps arabes ont montré que le monde arabe aujourd'hui est le seul qui concentre assez de passion pour pouvoir changer les choses. Mais ce changement ne peut être amorcé par la projection sur son axe des réels d'une certaine idée de la modernité, du progrès et de la liberté, il doit se nourrir de dynamiques internes, de caractéristiques intrinsèques, et doit avant tout connaître et ré-adopter son identité. Produire de l'identité c'est faire ce travail de mémoire, être dans la réconciliation et jamais dans la rupture, identifier ses contradictions, les dompter et les accepter, mais aussi comprendre que la modernité n'est pas une notion linéaire, et qu'il s'agit pour nous, non pas de rompre avec notre passé mais de nous réconcilier avec, et de retourner à un humanisme essentiel, seul capable de dépasser la peur de l'autre. L'Orient 2.0 est le produit des "orientaux" eux-mêmes qui se réapproprient leur identité culturelle, à l'image des nouveaux médias arabes, et qui dans le cas de Kalimat dont le credo est "par des arabes, pour tout le monde", donne exclusivement la parole à des profils arabes; réappropriation également de l'identité visuelle et graphique, grâce à des artistes comme El Seed, d'origine tunisienne et pionnier du mouvement de la calligraffiti, qui réinvente le street art arabe et qui a signé récemment une collaboration avec Louis Vuitton, et réappropriation enfin d'un langage et d'un humour communs, où le "Oh my god!" universel par exemple, laisse place au "Oh my allah!" plus autocentré du studio The 114.
Il n'y a pas un monde arabe, mais des mondes arabes, autant de mondes qu'il y a d'artistes pour en créer. Des mondes qui doivent être différents et nuancés, seuls et distincts, "comme sont seules les cordes du luth alors qu'elles vibrent d'une même musique" (K. Gibran, Le Prophète). Que les peuples arabes s'inscrivent non plus dans une communauté de destins mais dans une communauté de dessein, inclusive, capable de questionner le monde, de le changer et d'y clamer une identité qu'elle aura elle-même façonnée. Sans révolutions culturelles les printemps arabes restent inachevés, et seule une réelle nahda culturelle, fruit d'une émulation interne et d'un épanouissement de la créativité arabe, fera de l'Orient un "Levant" culturel fort et affirmé, capable d'exalter le monde entier.