Marrakech Biennale 2016 : « à l’endroit exact où le nouveau n’est plus l’apanage de l’Occident »

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La sixième édition de la Marrakech Biennale s’est ouverte le 24 février, et promet d’impulser dans Marrakech une vitalité culturelle inédite jusqu’au 8 mai prochain. Lioumness revient sur les temps forts de cette rencontre artistique internationale et dévoile ses coups de cœur.

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« Not New Now »

L’art contemporain devient sous la main de maître de la curatrice palestinienne ReemFadda un « living art » saisissant. Vivant, brûlant, révolté… et résolument ancré dans les urgences géopolitiques, économiques et sociales auxquelles nous faisons face. L’art n’est plus un entre-soi élitiste et déconnecté des urgences de ce monde, mais prend au contraire à bras le corps ses tragédies et ses angoisses. En témoigne l’installation de l’artiste sud-africaine DineoSesheeBopape au PalaisElBahia, dont les poignées de terre dessinent une cartographie troublante de l’Afrique. Retenons également le merveilleux hommage au cinéaste et écrivain marocain AhmedBouanani, dont le commissaire OmarBerrada offre une plongée dans la plus crue intimité en reconstituant sa bibliothèque personnelle avec Memory games. Enfin, ne manquez pas l’œuvre puissante et précaire A l’abri… de rien de FatihaZemmouri, suspendue comme une menace entre les murs du PalaisElBadii.

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La vitalité du OFF de la Marrakech Biennale

La Marrakech Biennale se décline en plus de l’exposition principale « Not New Now ? » en une myriade de projets OFF. Les projets parallèles investissent L’Blassa, à l’angle de la rue de Yougoslavie et de la rue de la Liberté. L’imperfection de ce bâtiment désaffecté, avec ses murs écaillés, ses volets qui claquent et ses fenêtres qui s’offrent au brouhaha de la rue, se mêle avec une grâce insolente aux petits trésors qui y sont exposés : de l’art contemporain dans la vie, la vraie, avec ses aspérités et son tumulte.

Coup de cœur de Lioumness pour l’installation vidéo méta-cinématique de BenRivers, filmée en pellicule 16 et 35 mm. Emprunte de l’esthétique de la beat generation des années 70, The Two Eyes Are Not Brothers opère une mise en abyme troublante de plusieurs voyages parallèles dans l’Atlas et le désert marocain, déclinée en trois vidéos qui distillent chacune une atmosphère unique. Des plans sublimes, bruts, non traités, et une tension insoutenable entre le tragique et l’absurde, le documentaire et la fiction.

Les projets partenaires qui se déploient dans toute la ville participent également de cette dynamique créative inédite, à l’exemple du festival OnMarche, dont on vous parlait la semaine dernière à travers l’interview de Sidi Larbi Cherkaoui, invité d’honneur. Expositions, vernissages, cycle de conférences, nuit des galeries, concerts… On ne sait plus où donner de la tête, et ce tourbillon est des plus grisants.

Guro Nagelhus Schia and Vebjorn Sundby in Pure. © Foteini Christofilopoulou.
Guro Nagelhus Schia and Vebjorn Sundby in Pure. © Foteini Christofilopoulou.

Une convivialité festive rythme ainsi les temps forts de cette rencontre artistique internationale. On sourit encore au souvenir de la transe dansante qui a salué l’émouvante performance de CélineCroze sur le « Sta7 dial L’Blassa » : le public qui s’est élancé au rythme de la musique gnaoua a valu tous les applaudissements du monde. Citons aussi la délicatesse abrupte d’Estabrak Al-Ansari et de son « Live Projection Painting » Tales of the Mother tongue : le regard se voile quelques longues minutes, délicieusement troublé par l’écran où la peinture blanche, les mains de l’artiste et les projections vidéo se mêlent en une poétique confusion. Les performances de TarekAtoui et ChouroukHriech semblent également devoir marquer longtemps les esprits.

Une ambition subversive et éducative

Les gens se rencontrent, se retrouvent, se découvrent, et les langues s’enchevêtrent, en arabe, en français, en anglais... Aux confins de l’Afrique, de l’Europe et du Moyen-Orient, Marrakech accueille en son sein les quatre coins du monde et la Biennale cristallise cette heureuse rencontre. « A l’endroit exact où le nouveau n’est plus l’apanage de l’Occident » comme aime à le souligner AmineKabbaj, Président Exécutif de la Biennale, rappelant ainsi l’intime complicité du poétique et du politique, et la réflexion postcoloniale qui se dessine en filigrane de la programmation de la Marrakech Biennale. Le Maroc s’érige ainsi en épicentre majeur de la scène artistique internationale, et donne à voir un nouveau visage de la création contemporaine des pays du Sud. Et en ces temps de crispation xénophobe, un tel bouleversement des imaginaires collectifs est plus que nécessaire, sinon salvateur.

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L’édition 2016 de la Marrakech Biennale relève également l’audacieux défi de l’éducation à l’art et à culture, en se dotant pour la première fois d’un ambitieux volet éducatif. Avec la volonté de lutter contre la fracture culturelle du pays et d’offrir un art contemporain inclusif et émancipateur, la Biennale met en place un programme « Pédagogie du Patrimoine » destiné à près de 3000 élèves des écoles marocaines et un programme « Stages et résidence artistique » pour 85 étudiants de Tétouan, Casablanca et Marrakech.

Une édition dédiée à la mémoire de Leila Alaoui

Cette sixième édition a par ailleurs la particularité d’être dédiée à la mémoire de LeilaAlaoui, photographe marocaine tragiquement assassinée lors des attaques terroristes de Ouagadougou au Burkina Faso. Les hommages à la solaire artiste émaillent ainsi la programmation de la Biennale : le courageux « je te pardonne » lancé par YasminaAlaoui à l’assassin de sa sœur lors de la cérémonie d’ouverture au PalaisBahia, l’œuvre troublante de ZbelManifesto qui ne cesse d’interpeller les passants, la « Lettre ouverte à Leila Alaoui » le 5 mars, et les expositions-hommages Crossings et No Pasara de la défunte artiste à L’Blassa.

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Prochains temps forts

Après l’intensité de sa semaine d’ouverture, l’ambition de la Marrakech Biennale ne s’essouffle pas pour autant : le 18, 19 et 20 mars prochains, la Marrakech Biennale nous invite à Essaouira pour faire vibrer l’emblématique cité portuaire qu’elle a déjà dotée de la plus grande fresque d’Afrique d’Afrique du Nord avec l’artiste italien RUN. Et du 22 avril au 7 mai, les Rencontres Artistiques en Places Publiques d’Awaln’Art promettent d’investir la ville avec des sculptures éphémères, du théâtre dansé, du cirque en déambulation, des interventions in situ et une vitrine canadienne inédite. Vous pouvez déjà en admirer un petit avant-goût saisissant avec l’immense portrait d’Aziz réalisé par HendrikBeikirch avec le JardinRouge, dont on vous reparlera très bientôt.

Mais dès lors, comment envisager Marrakech sans la Biennale ? Un début de réponse dès la semaine prochaine avec la table ronde Quoi de neuf à côté de la Biennale ? organisée par MintCollectiveà Banque Al-Maghrib.

En attendant, vous avez encore jusqu’au 8 mai pour savourer cette belle euphorie artistique.

Cléo Marmié.

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