Siham Sarah Chraibi
l'architecture de la haute-couture
Nous avons découvert les robes de Siham Sara Chraibi il y a quelques temps maintenant; ses coupes graphiques, ses soieries somptueuses et ses tombés ravissants. On suivait alors avec intérêt son actualité, et essayions de comprendre qu’est-ce qui a mené cette architecte à changer/ranger ses plans pour des patrons de robes d’exception.
Nous avons rencontré Siham dans l’intimité de son appartement parisien, nous y avons découvert une femme charmante, heureuse maman de deux petites filles, qui compose sereinement avec compotes pour bébé, histoire des costumes et concepts philosophiques pointus.
Siham a obtenu son diplôme d’architecte à Rabat, chose pour laquelle elle nous a confié être assez fière, et l’a complété ensuite par un DPEA en philosophie et architecture, sujet qui peut intriguer mais qu’elle compte bien approfondir, puisqu’elle travaille aujourd’hui sur un doctorat en architecture, encadrée par un philosophe.
Elle a cultivé très jeune une passion pour la couture et la broderie. Ayant fait ses armes auprès des maîtres de l’artisanat marocain le plus ancestral (M3ellma), elle a aiguisé sa technique en confectionnant ses propres tenues d’adolescentes et celles de ses copines, et a ainsi développé un rapport plus intuitif à la création, empirique et dénué de toute intellectualisation.
Durant notre discussion on a parlé de caftans marocains, et de sa sérénité quant à son avenir, puisqu’il a ce mérite selon elle, de se séculariser, d’évoluer avec son temps, et d’être non pas un patrimoine figé dans un quelconque passé glorieux réduit aux apparitions dans les cérémonies folkloriques, mais un vêtement de notre quotidien, qui connaît des cycles de mode et qui est en cela contemporain. Elle nous a expliqué aussi que selon elle, le Maroc ne se réduit pas à une série de 39ad (boutons) ou à une quelconque passementerie, elle croit en un Maroc complètement diffus dans la création, et qui emprunte davantage à une certaine élégance, un goût pour l’exubérance, et à un sens de l’apparat.
Dans ses créations, Siham s’emploie à s’éloigner de ce Maroc anecdotique, qui s’arrête à la citation de motifs, et qui devient un simple ornement. Elle est riche de toutes ses influences, de ses recherches, et de ses rêveries. Dans sa première collection, elle parle d’une réalité orientale autre. En imaginant des femmes qui seraient des passagères de l’Orient Express, se parant tour à tour de broderies slaves, de capes en cachemire d’inspiration ottomane et de jupons anglais, elle cherche à saisir ce désir d’exotisme caractéristique des années 30, aussi bien en Occident qu’en Orient : l’orientalisme d’un Lanvin et d’un Poiret, mais de l’autre côté aussi, un désir de raffinement à l’européenne.
Elle nous a parlé ensuite de la structure dans ses créations, sa technique d’architecte lui suggère une certaine rhétorique, un sens de la construction, des plans, et la pousse à cultiver l’obsession de faire correspondre les lignes. Sa seconde collection s’inscrit dans cet élan académique puisqu’elle y étudie l’architecture du corps humain, en essayant d’aller au plus près de chacune de ses courbes, de ses muscles, de ses capillarités et de ses vaisseaux.
Notre discussion nous a menés au mouvement de création que connaissent les sociétés arabes. On était fascinés par le discours de Siham sur la notion de Contemporain, dans lequel elle nous expliquait qu’être contemporain c’est être avec le temps présent, intégrer ce qui a été et ce qui sera, mais aussi qu’on est contemporain de quelque chose ou de quelqu’un, jamais contemporain seul, et qu’elle aspire enfin à une création contemporaine à laquelle on n’apposerait plus l’adjectif arabe, puisqu’appartenant à une même mouvance.
Elle nous a parlé enfin de ses projets, “envie d’en être!” a t-elle répété plusieurs fois. Rentrer au Maroc, s’investir, à travers la mode, la pensée, écrire voire même enseigner. Elle nous a aussi confié le rapport merveilleux qu’elle trouvait dans le sur-mesure. Chaque robe est pour elle une nouvelle conquête, un tombé à maîtriser, un ourlet à parfaire, une amitié à gagner, et nous a avoué, non sans émotion, que c’était pour elle une sorte d’offrande, et qu’elle entretenait le fantasme de faire chaque vêtement comme pour un être cher, quelqu’un qu’elle aurait pu aimer.