Sonia Terrab

rompue au beaux mots

Nom : Sonia Terrab

Occupation : Ecrivain

AGE : 27 ans

Localisation : Paris

Il y a une fierté et un plaisir cachés à préparer une interview. Se faire une idée de la personne à travers ce qu’on a lu d’elle, sur elle, l’effort de documentation, chercher des angles, des approches, creuser, vouloir à tout prix éviter de redire ce qui a déjà été dit, interpeler la personne, anticiper son discours. C’est un argument du narcissisme en fait. La satisfaction de se dire qu’on a cerné un personnage, et qu’on est prêts à l’affronter sur tous les sujets.

Et puis il y a ces interviews qui ne suivent pas le cours qu’on veut leur imposer, qui s’entêtent, bornées, où on se laisse porter, où toute démonstration de force devient vaine. Ces interviews qui deviennent de véritables rencontres, où à des moments on cherche dans ses notes, on se dit qu’il faut absolument poser cette question qui nous paraissait indispensable il y a quelques heures, puis on abandonne, de peur de rompre le charme.

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"Il n'y a de salut que

dans l'art"

Crédit Photo : Élise Ortiou-Campion

Sonia Terrab, auteure de Shamablanca, a notre âge, et parle comme nous. Sauf que dans sa diction on retrouve l’urgence de sa narration, et dans ses paroles la spontanéité de celle qui est rompue aux beaux mots. Simples et beaux.

Avec elle, on s’emporte dans des débats passionnés sur les romans d’anticipation sociale de Bret Easton Ellis, la littérature urbaine, le spectre des villes dans l’écriture contemporaine, et puis dans le feu d’une digression, elle nous balance un aphorisme d’Orson Welles.

Quand elle nous parle de ses influences, Sonia cite Kerouac et Rimbaud, et fait des blagues en arabe, sans transition. Elle nous dévoile en toute confidence son processus d’écriture, ces rimes qu’elle ne peut pas s’empêcher de faire, et sa volonté maîtresse de les déconstruire, d’aller contre soi, de se faire violence. Des rimes avortées, mais des images abouties. Des fulgurances.

Sonia partage avec nous sa colère aussi. Ce Maroc qu’elle fuit, mais autour duquel elle gravite. Son orbite de douleur. Un foyer de frustrations et de déceptions dans lequel elle puise pour écrire. Son pessimisme froid et viscéral nous frappe au début. Puis on pense à Baudelaire. Creuser dans le Spleen, pour faire émerger un Idéal. Mais en fait, non. Ce n’est même pas ça. L’Idéal pour Sonia n’est pas à chercher dans le présent, c’est une mélancolie des années 60-70, de la beat generation, de l’effervescence musicale, d’une époque qui a découvert Mohamed Choukri.

Elle questionne la révolution, celle du Maroc à travers le mouvement du 20 février dont elle parle dans son prochain roman, mais aussi celle des êtres, la révolution individuelle, la révolution de l’esprit et de la pensée. En mettant en scène des figures de l’absurde qui empruntent finalement plus à Camus qu’à Baudelaire, Sonia préfère explorer les désillusions et mettre au défi l’espoir.

Il y a aussi une fragilité et une lucidité dans la manière dont Sonia amène certains sujets. Fragilité d’abord, lorsqu’elle partage avec nous son roman de la maturité, celui qu’elle porte déjà en elle, celui qui la hante, mais dont elle ne connaît encore que le titre. Lucidité ensuite, lorsqu’elle nous envoie avec ardeur un “Qu’avons-nous fait?”. Et dans sa voix, c’est davantage un constat, qu’une véritable question. Le constat difficile et puissant d’une génération qui n’a rien créé, rien laissé à la postérité. Elle répète avec hilarité.


“Depuis Nass El Ghiwane, on n’a rien créé”


Ça nous fait rire, forcément. Mais d’un rire nerveux, complice, et coupable.