“Volubilis” de Faouzi Bensaïdi : vestiges de l'amour
Six ans après Mort à Vendre, Faouzi Bensaïdi revient en tant que réalisateur avec Volubilis, une histoire d’amour comme nous en avons rarement vu dans le cinéma marocain, sur fond de lutte des classes.
Abdelkader, interprété par Mouhcine Malzi, a l‘allure d’un héros grec, le regard digne de celui qui se bat et le visage tendre de celui qui sait aimer. Malika, “sa reine”, interprétée par la sublime Nadia Kounda, est à la fois forte, espiègle, et pleine d’assurance. Elle a le port de tête fier, le regard malicieux et l’esprit rebelle. Ils sont mari et femme. Ils sont beaux, s’aiment profondément, et se débattent comme ils peuvent avec la vie pour s’en tirer avec grâce et dignité.
C’est un couple légitime aux yeux de la loi. Ils sont mariés et rapidement donc est évacuée l’idée de l’amour clandestin dans un pays conservateur. Et c’est ce qui rend le combat de leur amour d’autant plus fort, puisqu’il se complique face à une réalité amère bien trop commune : la promiscuité, le manque de moyens et l’humiliation quotidienne.
La recherche de l’intimité est au cœur de cette histoire d’amour, où le couple fait preuve d’ingéniosité pour développer une forme de sensualité et d’érotisme, avec des jeux de regards, des petits manèges bien à eux, où leur complicité en sort victorieuse. Leur amour est suspendu à des gestes volés, fermes et conquérants. Elle lui empoigne le visage, comme pour l’attraper tout entier, le saisir au détour d’un arbre, d’un mur ou d’une colonne en ruine…
“L’intime est occupé par l’économie. Volubilis évoque les répercussions du capitalisme sauvage sur nos vies, jusque dans notre intimité…”
Les vestiges de Volubilis deviennent le théâtre de leurs rendez-vous romantiques, à la recherche désespérée d’un endroit pour accueillir leur amour. Il devient ainsi le lieu tragique de leur errance infinie et vaine pour se retrouver vraiment.
Après avoir incarné l’ordre en tant qu’agent de sécurité dans un centre commercial de Meknès - avec parfois même beaucoup de zèle, Abdelkader fait l’expérience de l’injustice qui le fait basculer du jour au lendemain du côté des « hors-la-loi». Il se retrouve sans emploi et habité par son désir de vengeance. S’en suit une descente aux enfers où son destin est scellé. Son couple vacille et avec lui tout son monde.
Malika, elle, travaille en tant que femme de ménage dans les maisons cossues de la ville. Elle subit également les petites violences du quotidien; des humiliations devenues anodines infligées par une bourgeoisie frivole et turpide.
Tous les deux se battent pour se sauver l’un l’autre. Ils se perdent et se retrouvent dans les interstices d’une vie rendue infernale par une classe sociale méprisante et tyrannique.
Toutefois, la coupe longitudinale dans la société bourgeoise pour montrer ses travers symbolisée par cette villa complètement vitrée qui laisse entrevoir une bourgeoisie somme toute prévisible et creuse, ne semble pas aboutie. Cette classe sociale, même si elle se retrouve souvent au coeur des films récents, (Razzia, Burn Out…) semble encore résister au cinéma marocain qui lui réserve un traitement plein de raccourcis et de clichés. Complètement désoeuvrée et frivole, elle exerce ses petits pouvoirs et passe-droit pour entretenir une vanité et une suffisance qui ne cachent rien sinon son propre échec. Elle est tiraillée entre mal être profond et représentation sociale, et subit la comédie humaine qu’elle a elle même façonné sans élégance de coeur ni d’esprit.
On regrette par moment un simplisme peu crédible quand des scènes naturalistes d’une extrême justesse rendent compte de l’intime d’une famille marocaine populaire. On retient à ce titre la scène du dîner en famille, où le père alcoolique est pris à partie par sa femme et son fils, et où l’on passe aisément de répliques graves et violentes à des banalités déconcertantes.
Abdelkader et Malika sont les héros modernes d’une histoire d’amour comme on en raconte plus. Ils s’aiment également, se le disent et se le montrent. Ils réussissent là où d’autres (mieux lotis) ont échoué, avec leurs moyens et leurs contraintes. Un combat permanent pour inventer leur intimité et leur rhétorique, arracher leur liberté et leur dignité, et faire triompher leur amour dans l’urgence d’un monde sans pitié. Comme un impératif pour leur propre salut.
Volubilis, le dernier film de Faouzi Bensaidi, sortira (enfin) en salles le 3 Octobre au Maroc.