Yacout Kabbaj
artiste en fleurs
Nom : Yacout Kabbaj
Age : 30 ans
Occupation : Artiste plasticienne
Localisation : Casablanca
A quelques jours de son exposition « Inflorescences », nous avons rencontré Yacout Kabbaj au Studio Iwa. Elle nous présente en exclusivité cette collection pensée et réalisée in situ, nous parle de son rapport à la matière, du commencement.
Tombée dans l’art toute petite, la peinture devient très vite une nécessité, un moyen d’expression. Enfant turbulente, la peinture l’a canalisée, l’a sauvée d’elle-même en quelque sorte. Travaillant en cachette, elle ne montrait jamais rien à personne, elle jugeait que “ça ne pouvait pas avoir d’intérêt pour autrui”.
Elle se rappelle de son premier cours d’art plastique, où elle devait travailler sur un projet libre. Ce jour-là, Alexandre Gerbi, son prof, doute de son travail, et lui met un zéro pointé, pensant qu’elle avait triché. “Je sais que votre père est diplômé des Beaux Arts de Paris.” Une phrase qui la met en colère, et qui la pousse à le convaincre de l’authenticité de ses travaux. Le prof est séduit, et cette rencontre va tout changer. Alexandre Gerbi devient son mentor, et suivront plusieurs ateliers artistiques qu’ils monteront ensemble.
Yacout travaillait à l’époque le vernis à bois, des planches très abstraites toujours, mais très différentes de ce qu’elle fait aujourd’hui. Elle a travaillé sur le nu aussi, mais a “très vite fait le tour” pour reprendre ses mots, et s’en est lassée.
Sa première expo en 1999, dans le cadre de l’année du Maroc en France, s’est tenue à la galerie Bassamat devenue l’espace Cervantes. Elle n’avait que 16 ans à l’époque, et était retenue dans la dernière shortlist pour exposer à l’Institut du Monde Arabe de Paris. Cet événement hyper médiatisé la confronte au public et au marché de l’art en général. Elle qui ne voulait pas dévoiler ses travaux au départ, se retrouve à devoir leur attribuer une valeur marchande, et surtout à se séparer pour la première fois de ses oeuvres. Un moment pénible pour elle, un passage à vide, d’autant qu’il s’est accompagné du départ de son mentor, qui retournait vivre en France.
Graphiste pour TBWA à Casablanca, elle y passe 4 ans avant de démissionner et de se consacrer exclusivement à la peinture. Elle a 30 ans aujourd’hui, et les projets s’enchaînent. Plasticienne, vidéaste, Yacout travaille toute sorte de matière, physique ou virtuelle. Elle touche à l’estampe, et trouve une stimulation particulière à appréhender des processus très différents de la peinture, se confronter à de nouvelles règles, trouver du sens dans de nouvelles contraintes.
Le projet qui lui tient à coeur en ce moment, et qu’elle prépare, c’est une installation itinérante d’art vidéo sur le harcèlement sexuel, qui s’appuie sur une documentation et une recherche sur le terrain et dans la langue, pour répertorier les différentes formes d’agression verbale et physique que subissent les femmes au Maroc.
Dans une autre veine, les travaux qu’elle expose à partir du 15 Mai au Studio IWA, témoignent de son intérêt pour les interactions de la matière, et pour l’aléatoire. Dans ces mélanges de différentes peintures hétérogènes, on trouve des formations presque basaltiques, des explosions, des auréoles. Son travail relève d’une approche très maîtrisée de l’espace et de ses compositions, mais laisse aussi une grande place au hasard, à la spontanéité. Comme devant des toiles de Rothko, on se plaît à discerner des formes, des objets, à trouver des références propres et personnelles, à découvrir notre imaginaire tout autant que celui de Yacout. Elle fabrique des transparences, et construit des miroirs, dans un fascinant jeu de couches et de textures. Inflorescences est un terrain d’expression très organique qui rappelle le travail de Peter Zimmerman, un artiste que Yacout a découvert à la galerie Emmanuel Perrotin à Paris, et dans lequel elle avoue se retrouver presque intégralement. Fascinant aveu de la part d’une artiste, indice d’une maturité créative, et d’une humilité certaine.