Youssef Lahrichi
LE NOUVEAU THÉÂTRE POPULAIRE
Nous avons rencontré le travail de Youssef pour la première fois en 2015. Il était alors le lauréat de la troisième édition de la Chambre Claire portée par la Fondation Alliances, avec sa série photo Rêveries Urbaines.
Casablanca sa ville d’adoption, était alors sa source d’inspiration. Il guettait les moments d’accalmie pour se livrer à des tête-à-tête uniques avec la ville, et rendre compte de moments quasi intimes avec elle. On décelait déjà son rapport à la mise en scène et à la théâtralisation de scènes de vie ordinaires, où les détails du quotidien prennent tout de suite d’autres dimensions sous son regard.
DE LA PHOTOGRAPHIE À LA MISE EN SCÈNE
Quelques années plus tard, où le retrouve cette fois-ci sur les planches. À la fois comédien et metteur en scène, il s’est découvert une passion pour le théâtre au conservatoire. Après avoir longtemps fait partie d’une troupe d’amateurs et amis, il a eu l’idée d’écrire sa propre pièce.
Huit mois plus tard il revient avec une première version d’une pièce sur un sujet qu’il avait en tête depuis un moment. Commencent alors les répétitions quasi clandestines dans des lieux insolites, où il se confronte à la précarité de la production théâtrale au Maroc.
Il avait alors deux objectifs : écrire une pièce en darija et monter des rôles de composition pour chacun des membres de la troupe. “Allah Islah” est née.
Au départ personne ne croyait en cette pièce. Avant la première, ils ont d’ailleurs failli annuler la représentation à plusieurs reprises, convaincus que ce qu’ils préparaient n’était pas à la hauteur. Le soir de la première à la FOL, ils sont les premiers surpris par l’accueil positif du public. S’en suivent cinq autres représentations à la FOL même et un public toujours aussi enthousiaste. Ils présenteront ensuite la pièce à l’Uzine avec le même succès. L’Uzine, séduite par la fraîcheur de la pièce, les a d’ailleurs soutenus en finançant une partie de leurs décors et de leurs costumes.
L’OFFRE THÉÂTRALE AU MAROC
En se retrouvant un peu par hasard metteur en scène, Youssef se rend compte que l’offre théâtrale est tellement faible voire inexistante, que beaucoup lui avouent que c’est la première pièce à laquelle ils assistent.
Pourtant, on a eu une tradition théâtrale au Maroc. Malheureusement, la plupart des théâtres de quartier ont disparu durant les trente dernières années et avec eux les vocations qu’ils suscitaient autrefois. Le fait que Youssef soit metteur en scène aujourd’hui est un accident puisque rien n’est réellement en place pour faire émerger des talents.
Quelques initiatives restent en revanche à saluer comme le Festival International du Théâtre de Casablanca porté par la Fondation des Arts Vivants, qui invite chaque année des pièces à succès étrangères (Le Porteur d’Histoire d’Alexis Michalik par exemple) et marocaines. “Allah Islah” faisait d’ailleurs partie des trois pièces marocaines invitées à la dernière édition.
Youssef se rend bien compte que monter un spectacle comme celui-ci suppose d’être au four et au moulin. De la communication à la production, jusqu’aux détails les plus anodins liés à la mise en scène, il faut être partout. Tout l’écosystème de la culture étant biaisé : pas de presse spécialisée, pas de lieux avec une programmation propre… Monter un spectacle avec une certaine exigence et le souci de l’expérience spectateur reste donc un vrai combat !
“Quand on paie ne seraiT-ce que 10 dirhams pour voir ma pièce, c’est une responsabilité !”
L’EFE, l’association qui oeuvre pour l’‘employabilité des jeunes au Maroc a été séduite par le travail de Youssef et a décidé de lui commander une pièce pour parler des enjeux liés à l’emploi au Maroc en darija. Une manière de parler légèrement d’un problème très sérieux, et réhabiliter la fonction quasi originelle du théâtre. Mais comme souvent, il est plus difficile de faire un deuxième livre ou une deuxième pièce puisqu’on est attendu au tournant, Khedmouni, la deuxième pièce du jeune metteur en scène est née, non sans douleur, et sera présentée pour la seconde fois le mardi 22 Janvier au Studio des Arts Vivants.
THÉÂTRE ET CATHARSIS
Youssef est ravi des différents publics qu’il a pu expérimenter à travers l’Uzine, la F.O.L et le Studio des Arts Vivants. En effet, la darija et l’écriture très immédiate de Youssef favorisent l’identification de publics très différents. Sur des sujets qui peuvent sembler à la fois délicats et sensibles, ses pièces ont trait à des aspects très profonds de l’identité marocaine et nous touchent finalement tous.
Une catharsis générale qui fait du bien, puisqu’on a en réalité peu l’occasion de voir notre singularité de marocains représentée. Avec sa darija brute, ni maquillée ni grimée comme parfois à la télé, ses dialogues sonnent juste. On n’a pas l’habitude d’entendre ce genre de choses et ça fait du bien !
“Je ne suis pas pour les messages au théâtre.”
Youssef ne cherche pas vraiment à développer un propos pour ses pièces, l’enjeu pour lui réside davantage dans la manière de parler de certains sujets sensibles, pour donner à réfléchir.
Le simple fait de voir les choses qui nous concernent de près ou de loin représentées, que notre réalité soit quelque part admise, est hyper important. Par exemple, dans “Allah Islah” il y’a des passages un peu “osés” (la scène du vélo, le string…) qu’on a l’habitude de voir dans des productions étrangères, mais on a encore besoin qu’on nous fasse violence ici pour accepter de les voir sans rougir.
“Je suis contre la vulgarité, mais on a encore une certaine liberté dans le théâtre qu’il faut exploiter.”
Puisque l’autocensure est toujours très forte, le théâtre peut-être cette antichambre sociale nécessaire pour dédramatiser certains traits de notre société, regarder en face nos incohérences, nos contradictions et nos faiblesses, et en rire ensemble pour mieux en parler et espérer finalement les soigner.