Zamân Books & Curating : Archivistes militants
Résolument tournée vers l’Asie de l’ouest, l’aire méditerranéenne depuis l’Afrique jusqu’à la Turquie, l’Iran et l’Inde, la mission principale de Zamân Books & Curating est de diffuser les nouveaux savoirs cosmopolites sur l’art et les images – pour contribuer à former le champ des modernités du Sud. Ces nouvelles cartographies de l’histoire de l’art se développent à travers des expositions monographiques ou collectives, la revue de recherches Zamân, textes, images & documents, différentes publications (monographies, livres d’artiste, ouvrages thématiques ou collectifs) et la réédition (ou la traduction) de corpus rares ou à redécouvrir.
Le rôle de Zamân Books & Curating est également d’accompagner les artistes (et familles d’artistes) dans leur projet d’exposition et/ou de publication, y compris en coproduction avec des institutions publiques ou privées, centres d’art, instituts culturels...
Leurs expositions ont pour but principal de documenter et donner visibilité à divers héritages artistiques issus des modernités arabes, africaines et asiatiques, jusqu’ici négligés ou marginalisés par l’histoire de l’art canonique et les musées prescripteurs. Ces expositions, basées sur des œuvres et des archives souvent rares ont vocation à voyager, à travers un réseau d’institutions elles aussi engagées sur la période de la décolonisation culturelle et ses extensions dans le monde contemporain.
Zamân Books & Curating est engagé auprès de différentes communautés de producteurs culturels, chercheurs, curators, traducteurs, archivistes, écrivains et autres narrateurs à travers le monde, traversés par le même désir : (re)vivre et célébrer leurs héritages artistiques transculturels.
Les publications Zamân Books (historiquement nées sur les pas d’une génération d’intellectuels marxistes postcoloniaux) cultivent un esprit d’archiviste militant. Leurs livres souhaitent constituer des ressources authentiques et des outils théoriques ; au service d’une histoire émancipée des arts visuels, de leurs trajectoires géographiques et conceptuelles. Zamân Books joue le rôle d’interface entre différentes sphères du savoir et de la théorie de l’art : savoir universitaire, savoir artistique, savoir vernaculaire, savoir numérique…
Nous avons posé quelques questions à Morad Montazami, curateur, directeur des éditions et rédacteur en chef de la revue, pour en savoir plus sur Zamân Books et sa vocation. Voici ce qui est ressorti de notre échange.
- En quoi la conservation et la valorisation des archives représentent-elles un enjeu majeur pour les pays du Sud aujourd'hui ?
On voit bien actuellement tous les débats et luttes idéologiques en cours entre la mémoire de l'histoire coloniale, la reconnaissance de ses victimes sur plusieurs générations; mais aussi parallèlement la mémoire des mouvements de décolonisation, autant d'enjeux sur lesquels aujourd'hui artistes, historiens et activistes convergent; pour une meilleure pédagogie, une autre terminologie et à la limite d'autres "héros" culturels et politiques. Dans ce sens les archives joueront toujours leur rôle de révélateur et d'aiguillage pour les esprits éclairés et pour l'émancipation de toutes les mémoires, y compris celles qui sont passées sous silence depuis des siècles - voire la colonisation française en Algérie qui commence dès les années 1830 et qui n'est toujours pas digérée ou apaisée d'un point de vue mémoriel et du point de vue des représentations. C'est seulement en adoptant la perspective désormais globalisée de voix et d'auteurs arabes, africains et asiatiques que ce travail pourra se faire.
Mais ce sont aussi les usages liés aux archives, leur accessibilité et leur circulation qui se transforment avec la révolution numérique bien entendu. A ce titre on ne peut pas dire que les puissances financières et médiatiques du big data soient concentrées dans les pays du Sud, raison pour laquelle il faut aussi arriver à penser les modernités du Sud dans leur dimension post-Internet.
“L'histoire culturelle des "Sud" ne peut s'écrire sans une contre-histoire des "Nord" et des centres historiques de la modernité.”
MORAD MOUNTAZAMI
- "Contribuer à former le champ des modernités du Sud" Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il s'agit tout simplement de travailler à l'exhumation, à l'édition et à la valorisation de corpus culturels et historiques (à commencer par les arts visuels étendus aussi bien à l'architecture qu'à la poésie) qui compensent le paradigme dominant des modernités européennes et américaines; sur lesquelles se sont fondées les collections des musées inter/nationaux, jusqu'à la fin du 20e siècle. On parle qui plus est de pays comme la France, l'Angleterre ou les Etats-Unis où les citoyens et le tissu social se composent de plusieurs origines, plusieurs mémoires, souvent conflictuelles à cause de l'histoire coloniale qui a vu les cultures arabes, africaines et asiatiques souvent "pillées" afin de remplir les vitrines des musées occidentaux. Il y a donc bien un aspect revendicatif dans le fait de participer à la constitution de ce champ des modernités du Sud, mais également un aspect comparatif et complémentaire; dans le fait que l'histoire culturelle des "Sud" ne peut s'écrire sans une contre-histoire des "Nord" et des centres historiques de la modernité.
- Les pays dits "Arabes" sont tiraillés entre les vestiges d'un passé glorieux et la projection impossible vers un horizon certain. En quoi la "célébration de nos héritages culturels" est un préalable à une réconciliation.
Les français au Maroc, en Algérie, mais aussi en Iran et en Syrie, comme les anglais en Egypte et en Inde, au 20e siècle, ont directement participé à l'élaboration muséale et au développement des métiers de l'artisanat, dans ces pays eux-mêmes - et pas seulement sur le sol européen. Le musée national de Bagdad, le musée des Beaux-arts d'Alger, le musée national de Damas sont autant d'institutions à l'histoire complexe et peu documentée; dont l'histoire des collections nous permet de mieux comprendre ces héritages transculturels, bien que célébrés à juste titres comme "merveilles" et antiquités irakiennes, syriennes... Autant des demandes de "restitution" d'artefacts à leur pays d'origine sont fondamentales et à défendre, mais il ne faut pas s'arrêter là. Il faut aussi développer les outils archivistiques et numériques afin de documenter la "vie" ou "l'aura" de ces objets, au-delà même de leur matérialité. Concernant les zones lybiennes, irakiennes, syriennes, libanaises... où la destruction du patrimoine et les catastrophes politiques s'accélèrent à un rythme affolant depuis la première guerre du Golfe jusqu'à aujourd'hui, le discours universaliste et muséal sur la grandeur des antiquités mésopotamiennes, phéniciennes etc. semble largement dépassé : le patrimoine devient davantage le site de stratégies mémorielles d'urgence et de collections nomades, que la simple exhibition d'une gloire nationale désuète.
DERNIÈRE PUBLICATION
Préfaces à un livre pour un musée syrien
Publié à l’occasion du centenaire du musée national de Damas (1919-2019)
Ceci est un livre-préface. Une préface composée d’autres préfaces. En l’occurrence celles publiées dans les différentes éditions du catalogue du Musée National de Damas, de 1919 à la fin du siècle dernier– préfaces qui se retrouvent ici, non seulement annotées, mais aussi accompagnées de documents d’archives et de chroniques historiques.
Il s’agit donc d’une réédition-palimpseste ou d’un guide intempestif à travers les vies du Musée et de son catalogue. Comme pour en observer, à la manière d’une analyse structuraliste, “les variations du mythe” ou le corps multiple. On y appréhende le Musée national de Damas par une constellation de dates historiques mais aussi de micro-histoires et de survivances iconographiques. Ou comment l’histoire, au sens plus large et y compris au sens tragique, transparait à travers les murs du musée, ses collections, ses réserves; ses représentations nationales et intimes, son périmètre réel comme sa tendance nomade.
Cette recherche menée par Mathilde Ayoub sur l’histoire trouble du Musée national de Damas débute il y a un an, par la découverte du catalogue de ce musée, édité à l’occasion de son Cinquantenaire en 1969. À l’occasion de son centenaire (création du musée en 1919 par l’Académie Arabe, juste avant le mandat français) l’idée émerge chez Mathilde Ayoub de prendre toutes les éditions de ce catalogue (de 1919 à 1999) et leur « préface » comme pièces à conviction – dans l’objectif de réaliser un guide intempestif qui questionne les archives (et les vies) du musée.
Vous pouvez feuilleter le catalogue ici.
9, Octobre, 19:00 - Librairie Petite Egypte
35 rue des Petits Carreaux, 75002 Paris
Rencontre avec la chercheure et curatrice Mathilde Ayoub.
Présentation du livre & Table Ronde
October - Arab Center for Research and Policy Studies (CAREP)
Une discussion autour du livre Préfaces avec Mathilde Ayoub, Michel Al-Maqdissi, Salam Kawakibi et l’éditeur Morad Montazami.
COMING UP NEXT
NEW WAVES: MOHAMED MELEHI
AND THE CASABLANCA ART SCHOOL ARCHIVE
September, 19th to October, 10th - Alserkal Arts Foundation
The postponed exhibition is finally open!.
Check out Alserkal Arts Foundation website to learn more about the exhibition, archival material and general programme.
WORKSHOP
September, 26th, 5pm (Dubaï time) Online
"Ripple Effects: Legacies of Radical Pedagogy in the Art School"
FILM SCREENING
October, 7th
Discover the original documentary Melehi directed by Shalom Gorewitz (Bronx Museum of the arts, New York, 1984).