Les vagabonds connectés : ces nouveaux "cool kids" marocains
La génération des «millennials», enfants du millénaire nés entre le début des années 1980 et des années 2000, modifie les termes de l'économie mondiale en introduisant de nouveaux modes de consommation qui privilégient l'accès sur la propriété, valorisent l'authenticité d'une information sur son contenu, et utilisent des adblocks pour se fier volontiers aux blogs et recommandations de leurs pairs. L'industrie du voyage n'a pas été épargnée. Plusieurs études révèlent l'influence révolutionnaire de la Génération Y sur les pratiques de voyage traditionnelles. Plus passionnés que la génération de leurs parents, ils privilégient les voyages à tout autre type de dépense ; sans doute aussi plus lucides sur la vacuité du monde hypercapitaliste qu'on leur a "vendu" jusque là…
Posséder des biens matériels est donc passé au second plan, et c'est désormais l'intangible et l'immatériel qui les fait vibrer. Ultime acte de rebellion contre la société de consommation, ils préfèrent multiplier les expériences qui les aident à façonner leur identité et à collectionner les souvenirs, et voyager devient en cela l'une de leurs principales aspirations.
Mais plus qu'un nouveau poste de dépense, voyager est un style de vie pour la plupart d'entre eux. Ils profitent de la moindre occasion pour fuir un quotidien trop pesant, et pour certains, franchissent sans regret le pas d'une vie de nomade à plein temps. Tous sont en quête d'expérience et de sens, et acceptent le risque du long détour hors de soi pour se retrouver soi-même.
Sur les réseaux sociaux, exhiber des objets n'a jamais été aussi ringard. Aujourd'hui ce sont les #Sunset, #Skyporn et autre #Wanderlust qui émeuvent internet. Portrait de sept nomades 2.0: Houda, Ghita, Amine, Hicham, Anass, Tarik et Soufiane, ces nouveaux "cool kids" d'internet.
1. LE NEO-CAMPEUR
Nom : Tarik Raiss
Occupation : Graphic Designer
Instagram : @TarikRaiss @Ghanka7louha
Youtube : Tarik Raiss
Tarik est un vrai nomade 2.0. Gopro, argentique, skateboard et notebook font partie des essentiels du baluchon de ce jeune créatif, qui fait de ses voyages de vraies planches Pinterest, filtrées et léchées à souhait, capables de faire démissionner n'importe quel auditeur désespéré devant son fichier excel. Son odyssée The Sound of Living est un voyage en solitaire sur 3200 km dans le sud du Maroc, alternant trajets en longboard et en auto-stop. Avant son grand départ et après avoir quitté son ancien boulot, il était tellement content de partir loin de Casablanca qu'il ne s'est pas arrêté avant d'arriver à Sidi Ifni. 500 km pour respirer enfin…
Seul devant des paysages éblouissants, Tarik à fait l'expérience de la pleine conscience et de l'hypersensibilité, où chaque instant est un mélange étrange d'émerveillement, d'excitation et de vulnérabilité. Sur instagram, il partage plus que des clichés mais des histoires qui racontent son épopée et lui permettent de mieux organiser ses propres souvenirs; ceux d'un voyage qui l'a profondément changé, et qui lui a permis d'entrevoir de nouvelles perspectives dans sa vie.
Tarik aime voyager mais ne veut pas pour autant abandonner son travail de graphic designer qu'il adore. Il continue donc de jongler entre ses expériences de voyage, sa passion pour le surf et les sports extrêmes, et son travail de designer graphique.
2. SLOW TRAVEL
Nom : Anass Yakine
Occupation : Digital Nomad, photographe et speaker
Facebook : AnassYakineLeTourDuMarocAPied
Anass est sans doute l'une des figures les plus connues du nomadisme marocain. Ayant bouclé son Tour du Maroc à pied en 2015 après 2 ans et 5000 km de marche à pied autour du royaume, il est rapidement devenu le conteur d'histoires de voyage le plus prisé des conférences et autres séminaires.
Le voyage dans le cas d'Anass est une philosophie de vie. D'abord le choix de la marche, qui est selon lui la façon la plus noble de voyager, est un véritable éloge de la lenteur. Elle permet de préférer le chemin à la destination, en valorisant les rencontres et en accueillant tout ce qui vient à nous. "Quand on marche, on est totalement ouvert, ouvert au monde, ouvert à la nature, ouvert à l’autre. Le marcheur c’est quelqu’un qui est disponible à aller vers l’autre", nous confie t-il.
Le long voyage d'Anass lui a permis de changer de vie et de vivre complètement de sa passion maintenant. En partageant son périple et en le médiatisant, il a pu faire parler d'un mode de vie alternatif et inspirer beaucoup de personnes qui sont même parfois venus marcher un bout de chemin avec lui. "Les voyages ont depuis toujours été partagés à travers des gravures, des récits oraux ou écrits, des visuels et plus récemment, à travers les réseaux sociaux. Raconter un voyager, pour moi, c’est d’abord transmettre un savoir, une idée, des valeurs".
Aujourd’hui, avec ce qu’on appelle le nomadisme digital, les réseaux sociaux font partie intégrante de son mode de vie, et sa démarche continue d'intéresser les médias, les organisateurs de conférences et les festivals de voyage en Europe. Il compte repartir bientôt pour cette fois-ci le tour de l'Afrique…
3. TOUTE SEULE ET ALORS ?
Nom : Houda Chaloun
Occupation : Nomade à plein temps
Blog : www.moroccannomad.com
Facebook : The Moroccan Nomad
Instagram : @Houdac
À la question "à quel point as-tu besoin de voyager?" Houda répond sans détour "constamment". Partie pour un long voyage d’un an autour du monde après avoir quitté son boulot, elle a fini par passer deux années en Amérique Latine et se prépare actuellement pour une année de voyage en Asie. Très vite, elle a découvert que c’est bien le nomadisme qui lui procure son équilibre personnel. Le détachement du matériel en est une compostante importante, à la fois un détachement des objets, des lieux, et du confort relationnel. Une manière pour elle de rester constamment dans l’apprentissage de la vie en dehors des zones de conforts.
Sa croyance profonde est que le hasard reste le plus sûr des chemins pour choisir ses destinations et se laisse aller à la découverte de ce que l'univers cherche à lui offrir, sans essayer de contrôler la forme et le contenu de l’expérience. Souvent interpellée sur le fait d'être une voyageuse solitaire (et marocaine de surcroît), elle est convaincue que la sécurité n'est pas un problème lié au voyage mais à sa propre perception du monde, puisqu'on "peut se faire agresser à Casablanca et séjourner dans les zones les plus dangereuses en Colombie sans aucun problème !".
Aujourd'hui Houda est chroniqueuse de voyage. Elle tient un blog de voyages et prépare également un livre. Si elle tient à partager son expérience sur internet c'est avant tout pour inspirer tel qu'elle l'a été par d’autres.
"On donne ce qu’on reçoit quelque part de telle manière à garder cette dynamique de donner/recevoir toujours active."
4. j'irai où tu iras
Nom : Ghita et Amine
Occupation : Nomades à plein temps
Blog : www.agbackpackers.com
Facebook : @AGBackpackers
Instagram : @agbackpackers
Ghita et Amine ont sauté le pas à deux. Comme pour tous nos néo-nomades, cette furieuse envie de wanderlust* est d'abord un besoin personnel, mais ce qui est particulier dans le cas de nos @agbackpackers c'est qu'elle émane également d'une volonté à deux, et est devenue essentielle pour l'équilibre du couple. Pour Ghita, le voyage c'est d'abord l'assurance "d'être heureuse à une plus grande fréquence" et lui a permis de retrouver son âme d’enfant.
Au quotidien, le "métro boulot dodo" se transforme en "On mange où ? On dort où ? On va où ?", et les acquis de la vie moderne deviennent de réels plaisirs, qu'on apprend à mieux apprécier. En voyageant, ils se sont plus ouverts au monde, "de toutes façons on n'a pas le choix, à force de rencontrer des personnes différentes, d’âges différents, de cultures différentes et de pays différents". Ils ont également appris à mieux se connaître et à compter l'un sur l'autre, et ont compris que leur "chez soi" était désormais là où l'autre se trouvait.
Ghita et Amine tiennent un blog et différents comptes de réseaux sociaux où ils partagent soigneusement leurs expériences mais ne se montrent que de dos ou de profil. Un choix auquel ils tiennent puisqu'ils estiment qu'ils partagent déjà l'essentiel.
5. easy rider
Nom : Hicham Naoui
Occupation : Entrepreneur
Instagram : @hichamontheroad
Hicham aime voyager par dessus tout. Le besoin de voyager ne le quitte jamais et il ne se sent heureux "qu'à partir du moment où il décide de voyager et jusqu'à 3 jours après son retour". Quand il décide de voyager, il fixe un jour, range ses affaires, enfourche sa moto et décide ensuite de l'endroit où il va. Trois à quatre jours qui lui permettent d'oublier dit-il, de se retrouver en avalant des kilomètres de bitume, loin du monde trop étriqué que nous offre le quotidien et des gens (aux mentalités tout aussi étriquées) qui nous entourent.
Hicham n'a pas peur de prendre l'angle en moto comme dans la vie, et distingue bien le tourisme du voyage, puisque selon lui "le tourisme c'est en mode tranquille avec t-shirt I LOVE (là où je suis), et le voyage c'est l'Aventure". Seul ou avec un ami, il n'hésite pas à prendre la première sortie vers la vie pour apprendre à mieux en dompter les virages et à en explorer les lignes et les courbes, et à maîtriser sa respiration jusqu'à la retenir au moment de poser le genou devant les paysages somptueux qu'il voit défiler. Peu importe donc de tomber, pourvu qu'on connaisse l'ivresse de voler !
6. BUSINESS TRIP NOT !
Nom : Soufiane El Khiati
Occupation : Directeur d'entreprise
Instagram : @soufelk
Youtube : Soufiane EL KHIATI
Quand ils ont la chance de voyager grâce à leur travail, les millennials ne réfléchissent pas à deux fois avant de tourner leurs business trips en leisure trips, et c'est ce que ne manque pas de faire Soufiane à chaque fois que cela lui est permis. "Il est clair que quand je dois voyager des dizaines d'heures en classe éco la moindre des choses est de découvrir la destination où je suis", ce directeur d'entreprise s'arrange donc pour prendre des week-ends de 3 jours et explorer les alentours. Avec sa panoplie du parfait aventurier (cf son Harraga bag plus bas), il n'a pas peur de troquer son costume pour une combinaison de plongée, convaincu que ce qu'on retient du temps qui passe ce sont essentiellement les expériences vécues en voyage.
Pour Soufiane, le voyage est un vecteur évident d'ouverture d'esprit si on y est disposé, et cela se ressent dans sa vie quotidienne et dans son travail puisqu'il arrive plus facilement à évoluer dans des milieux radicalement différents, conscient que "travailler avec des maliens, des algériens ou des danois c'est interagir avec des mondes".
En effet, au delà d'aller vers de nouveaux paysages et de nouvelles expériences, ce que nous apprend réellement le voyage c'est "d'avoir d'autres yeux, de voir l'univers avec les yeux d'un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est", et c'est là le véritable voyage, parce qu'ainsi, "nous volons vraiment d'étoiles en étoiles". **
Mais le voyage pour Soufiane c'est avant tout un prétexte pour se retrouver dans l'intimité de sa conscience, une sorte de psychanalyse de plein air où l'on se perd dans le monde pour mieux se retrouver. Il partage avec nous cette citation qui l'a marqué et qui place pour lui la quête de sagesse intérieure comme le voyage ultime : "ce que l'on voit dans les voyages n'est jamais qu'un trompe-l'oeil. Des ombres à la poursuite d'autres ombres. Les routes et les pays ne nous apprennent rien que nous ne sachions déjà, rien que nous ne puissions écouter en nous-même dans la paix de la nuit"***. Pour Soufiane, on voyage autour du monde à la recherche de quelque chose, et on finit quelque part par se trouver soi…
Soufiane a accepté de se prêter au jeu du harraga bag de Lioumness, voici ce qui en ressort…
"Si tu devais tout quitter et partir du jour au lendemain, qu’emporterais-tu avec toi ? Ton mac, ton bouquin préféré, ton chat/chien? Prépare ton Harraga Bag et raconte-nous son histoire…"
Un carnet de notes
Une gourde histoire de rester hydraté
Un portefeuille
Mes passeports
Mon chapeau
De la lecture
Mon carnet de vaccination et mon permis international histoire de pouvoir louer une moto localement
Des gants de moto
Un appareil compact étanche
Mon carnet de plongée
Mon masque fétiche
Mon ordinateur de plongée
Un hamac c'est toujours un bonheur de faire une petite sieste dedans
Mon répulsif moustique pour éviter d'attraper le palu
Un masque de sommeil qui n'écrase pas les yeux, essentiel.
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* : Wanderlust : l'envie furieuse de voyager et d'explorer le monde