Hind Bensari
TRÊVE DE SILENCE
Nom : Hind Bensari
Age : 29 ans
Occupation : Réalisatrice et productrice
Localisation : Copenhague
Après des études en histoire du Moyen Orient et économie, la vie de Hind Bensari bascule lorsqu’elle découvre la tragique histoire d’Amina Filali, qui inaugure sa plongée dans le monde du documentaire. Cette jeune réalisatrice et productrice prometteuse n’en finit pas de bouleverser les imaginaires collectifs en braquant sa caméra sur les zones d’ombres de la société marocaine. En 2014, à la Biennale de Marrakech, on découvre son premier long métrage, 475, break the silence, filmé dans l'urgence, comme une nécessité. C'est également à la Biennale qu'elle rencontre Hanne Lise Thomsen avec qui elle monte le BillBoard Festival à Casablanca, une nouvelle façon de laisser s’exprimer les voix féminines des quatre coins du monde dans les rues marocaines. Aujourd’hui, Hind Bensari revient avec un nouveau projet de documentaire sur les champions paralympiques : Lancer ce poids. Rencontre.
Trêve de silence
Le 10 mars 2012, Amina Filali, violée à deux reprises et contrainte par sa famille d’épouser son violeur, se donne la mort dans le Nord du Maroc en avalant de la mort-aux-rats. Deux mois plus tard, Safae, 14 ans, est également contrainte d’épouser l’homme qui a abusé d’elle. Quatre mois plus tard, c’est la très jeune Chaïma, 11 ans, qui se suicide après avoir été violée.
Hind, alors basée à Londres, prend six mois de congés et rentre au Maroc pour explorer les dessous de ces faits divers lugubres qui suscitèrent une vague d’indignation nationale et un vif émoi par-delà les frontières. Vivement désireuse de témoigner de l’histoire d’Amina Filali, Hind songe tout d’abord à l’écriture, mais réalise rapidement que dans un pays où l’analphabétisme frappe encore 10 millions de Marocains, l’image n’en aura que plus de force. Elle quitte son job et crée sa propre structure de production à Londres. L’aventure 475 : Break the silence est lancée.
Le financement de son projet s’élève à 10 000$ (caméraman, graphiste, ingénieur son, déplacements et repas de l’équipe, montage, communication), qu’elle réunit grâce à un crowdfounding et ses économies. Elle consacre plusieurs mois à la recherche d’informations, d’archives, de témoignages. Elle répertorie les personnes désireuses de se prononcer sur le sujet, et va à la rencontre de politiques, d’associations, d’autorités religieuses, de psychologues…
Toute cette phase de recherche est sous-tendue par une même question : comment le système judiciaire marocain peut-il favoriser le secours de l’accusé, à celui de l’intégrité de sa victime ? Plus encore que la rigidité des lois, Hind réalise que c’est bien l’interprétation qu’en font les juges qui mène à de tels drames. Le texte de loi incriminé (475) est hérité du code pénal français, et inscrit dans le code marocain en 1963. Alors que cet article traite du rapt de séduction, il a été appliqué au Maroc pour les cas de viols. Toute l’ambiguïté réside ainsi en la confusion et l’imbrication d’interprétations religieuses, culturelles et juridiques. Pour Hind, c’est un « problème de mentalités », l’avis de la rue a donc un poids majeur. Mais les rassemblements et manifestations en la mémoire d’Amina Filali sont sans commune mesure avec la mobilisation qui a agité les réseaux sociaux. Facebook et Twitter ont d’ailleurs permis à Hind de constituer son équipe de tournage. Celui-ci a duré 7 mois. Le documentaire sort en avril 2013 sur internet. Nabil Ayouch la repère, et la présente à RedaBenjelloun de 2M qui choisit, courageusement, de diffuser son film en prime time sur la chaîne nationale.
Avec 50 000 vues sur le net, et 1,8 million de téléspectateurs sur 2M, Hind réussit ainsi le tour de force de faire enfin entendre les voix inaudibles du royaume. Et son témoignage saisissant traverse les frontières : le film fait le tour des festivals, passant par le Malmo Arab Film festival, The XI International Festival of Women in Film & TV à Mexico et la Biennale de Marrakech 2014.
Abrogation de l’alinéa 2
En janvier 2014, soit 2 ans après le suicide d’Amina Filali, la Chambre des représentants marocaine adopte une proposition de loi abrogeant l’alinéa 2 de l’article 475 du code pénal. Pour Hind Bensari, la mobilisation de la société civile n’a pas permis cette volte-face législative. En effet, « la loi faisait sens pour la plupart des gens. Mais les associations ont été très dynamiques, et il y a eu une forte médiatisation nationale et internationale », qui ont finalement eu raison d’une législation conservatrice et patriarcale. Riche de cette expérience intense et audacieuse, Hind décide de se consacrer au documentaire.
Les Jeux Olympiques de Londres en 2012 interpellent alors la jeune réalisatrice marocaine. L’équipe athlétique valide marocaine est accusée de dopage et disqualifiée, suscitant une déception nationale. Les seuls médailles d’or et records du monde marocains furent paralympiques. Ainsi, Najat El Garra a pu hisser haut dans le ciel londonien le drapeau du Maroc, en décrochant la première place du podium au lancer de disque des Jeux Paralympiques. L’occasion aussi pour elle de dénoncer le manque de visibilité et de reconnaissance des sportifs à besoins spécifiques au Maroc. Un nouvel aspect de la société marocaine sur lequel Hind Bensari décide de poser un regard lucide et délicat.
À l’occasion du FIDADOC, Hind Bensari présente son projet à La Ruche, résidence d’écriture du festival. Elle est sélectionnée pour une résidence à Safi puis à Saint Louis (Sénégal). Elle est alors financéepar l’Africadoc (Jean Marie Barbe, d’Ardèches Images), tandis que 2M lui octroie une enveloppe de 150 000 dirhams et que le film bénéficie d’une aide à la production de 20 000 euros du Fonds Image pour la Francophonie. La production est assurée par le producteur tunisien Habib Attia (qui a également produit Chalat de Tunis et C'était mieux demain, qui ont fait la 69ème et 70ème Mostra de Venise), Vibeke Vogel (Danemark) et NajatKobi (Disconnected, Maroc).
Avec Lilia Sellami à la caméra et Ghita Zouiten au son, Hind Bensari réalise donc Lancer ce poids, une immersion dans le combat quotidien de Azzedine. Après avoir décroché la médaille d’or du lancer de poids aux Jeux Olympiques de Londres, cet athlète et recordman handicapé déploie toute son énergie pour faire reconnaître les droits des athlètes handicapés au Maroc, alors que la Fédération marocaine d’Athlétisme s’obstine à nier sa qualité de champion national.
Une nouvelle plongée au cœur des luttes inaudibles du royaume, et un nouvel hommage aux blessures discrètes des oublié-e-s.