Jardin Rouge à Marrakech : une fenêtre inédite sur l’art contemporain urbain au Maroc
Kilomètres de bitume, douars saisis par la joyeuse agitation d’un marché, pistes sinueuses bardées palmiers oubliés dans la terre sèche. 20 kilomètres après Marrakech, se dessine au loin une kasbah de travers, qui annonce l’imminente arrivée au Jardin Rouge … Elle indique, digne et géométrique jusque dans sa chute, qu’ici, tout invitera à la perturbation, la subversion, l’inattendu. Et le Jardin Rouge, résidence artistique de la fondation Montresso, tient sa promesse.
Le regard est immédiatement saisi : herbe grasse, végétation plantureuse, fontaines lascives, enfilade de palmiers et de bâtisses… Et, ironiques, facétieux dans toute cette luxueuse quiétude, des graffitis, des fresques, des éclats de couleur et des arabesques incisives. Derrière chaque porte, à chaque virage, une nouvelle merveille enchante le regard. Là, un immense lapin rouge qui trône sur la pelouse, ici une toile dont les courbes rappellent les graffs du Brooklyn des années 90, là-bas un tableau sensuel aux couleurs crues… Les ateliers qui essaiment le lieu sont criblés de couleurs, de peinture, de sprays de bombes aérosol. Le sol, les colonnes, les murs en sont imbibés, saturés, témoins de la fièvre qui a saisi les artistes qui s’y sont installés. Car Jean-Louis, le fondateur de cette ôde à l’art, a pensé le Jardin Rouge comme une oasis de quiétude où les artistes des quatre coins du monde pourraient y développer leurs projets, accompagnés par des regards exigeants et bienveillants. Ainsi, une résidence au Jardin Rouge est avant tout une aventure profondément humaine : une ambiance familiale et intimiste accompagne le travail des artistes accueillis en résidence.
Grands noms de la scène artistique contemporaine et urbaine internationale et jeunes talents prometteurs se sont ainsi succédés entre les murs ocres : TILT, FENX, KOUKA, POES, David Mesguich, KASHINK, Benjamin Laading… L’année 2016 a par ailleurs vu s’ouvrir le nouvel espace dédié à l’Art Contemporain de la Fondation Montresso : d’une superficie de près de 1300m2, cet espace inédit a été inauguré en avril dernier par une rétrospective de l’artiste Gérard Rancinan et a donné dans le cadre de la COP22 une carte blanche à Olivier Dassault.
Et si le Jardin Rouge est bien une oasis, il est heureux de découvrir que son insularité ne le confine plus à l’éco-système : de plus en plus d’artistes marocains, ou de projets artistiques prenant le Maroc comme source d’inspiration et/ou d’installation, essaiment la dense programmation du Jardin Rouge. Omar Mahfoudi, artiste tangérois dont l’univers mêle avec une grande maturité délicatesse rageuse et violence pudique, a ainsi été accueilli pour sa première résidence au Jardin Rouge en octobre sur la thématique des dictateurs.
Un autre très beau projet porté par la Fondation Montresso est la série « Tracing Morocco ». Ce projet est le fruit d’une étroite collaboration entre le Jardin Rouge et l’artiste Hendrik Beikirch, que Lioumness a rencontré lors de la Marrakech Biennale 2016 à l’occasion de la réalisation d’une immense fresque murale en face de la gare de Marrakech : « Le visage que j’ai peint est celui d’Aziz, un maçon marocain qui travaille sur des chantiers de construction. Aziz est vraiment une rencontre qui m’a touchée lors de mes voyages au Maroc, c’est quelqu’un de bien. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai voulu que ce soit lui et son visage bienveillant qui accueillent les voyageurs qui arrivent à Marrakech. »
Le projet « Tracing Morocco » rend ainsi hommage aux vieux métiers du Maroc. Cette œuvre de street-art singulière donne à voir sous un nouveau jour les « visages » qui font et défont les dynamiques singulières du pays. Elle fait ainsi de troublants échos à l’œuvre de Mouhim Simo La vieille dame, réalisée dans la médina de Casablanca. Toutes deux représentent avec noblesse et émotion l’âge, la vieillesse et les rides qui s’inscrivent sur les peaux en même temps que les années. Elles rappellent ainsi que la beauté, la grâce et la gravité ne sauraient se résumer aux clichés lisses et aseptisés des liturgies consuméristes et publicitaires : « Il me semble que si l’on veut donner à voir un visage qui a une histoire à raconter, celui d’une personne âgée est intensément plus pertinent qu’un visage jeune, vierge. Le Maroc est un pays unique, à la lumière si particulière… Cette lumière magnifique permet de capturer des contrastes saisissants sur un visage. Quand je suis arrivé ici pour la première fois il y a deux ans, j’ai réalisé que les visages avaient tant d’histoires à raconter… Et avec la perspective artistique du Jardin Rouge, l’équation créative était presque parfaite ! » se souvient ainsi Hendrik Beikirch.
Le livre et le portfolio éponymes de « Tracing Morocco » ont été dévoilés le 22 octobre à la librairie parisienne Artcurial à l’occasion du week-end de la FIAC : ces précieux écrins donnent à voir les portraits de marocains et de marocaines réalisés par Hendrick Beikirch sur les murs des quatre coins du monde.
Mais les aspirations du Jardin Rouge ne s’arrêtent pas là, bien au contraire, une programmation rigoureuse et éclectique est proposée pour la saison 2016-2017 avec entre autres, l’artiste franco-congolais KOUKA, dont on avait déjà remarqué les guerriers Bantus sur les murs d’Azemmour, ou encore les artistes JONONE, TILT, FENX et Cédrix Crespel exposaient à l’espace Montresso des toiles au format… XXL.
XXL#1 Jonone - Tilt - Fenx - Crespel _ Espace Montresso Marrakech Maroc from Jardin Rouge - MONTRESSO* on Vimeo.
Une oasis donc, fertile, prolixe et généreuse, dont les racines s’inscrivent de plus en plus profondément dans le paysage culturel marocain et redéfinissent les codes de l’art contemporain urbain au Maroc.
Cléo Marmié