Le réel en images
2015, l'année du documentaire au maroc
Donner à voir le réel, mettre en sens des décors, des corps, des voix, des détails anodins pour les offrir au regard avec un éclat neuf. Voilà le geste documentaire, cette ambition du réel par le réel. Il est un usage du monde, une prise de parole qui brise les réifications sociales et fait advenir une liturgie du quotidien.
C’est en cela que le documentaire est remarquable, alors que justement peu remarqué. Le documentaire, genre cinématographique parfois maltraité, souvent délaissé, n’est pas un simple reflet de la vie comme elle va : il l’interroge, l’interprète, la déforme parfois. Pour Patrick Leboutte, directeur de la collection « Le geste cinématographique » aux Editions Montparnasse, il est « un film qui nous regarde ». Loin des poncifs misérabilistes ou romantiques, il est un art maïeutique de dévoilement du monde où la réalité se passe d’artifices et de fioritures.
Qu’en est-il des cinématographies documentaires maghrébines ? Comment interroger ses spécificités, ses richesses et ses drames ? Quels sont les ponts qui permettent la circulation des œuvres par-delà les frontières ? Le Maroc semble faire figure d’exception dans la région. Un écosystème presque complet de l’industrie documentaire se dessine peu à peu au cœur du royaume, portée à la fois par des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs et des organisateurs de festivals. L’éducation à l’image prend des couleurs, et des formations tournées vers la création documentaire, même si elles sont encore rares, participent à cette dynamique vertueuse, à l’instar de l’Ecole Supérieure des Arts Visuels de Marrakech ou de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines à Tétouan. La chaîne de télévision 2M soutient activement le genre, et pose les bases d’une réflexion collective et fédératrice autour du documentaire en impulsant en 2015 les premières rencontres professionnelles autour du documentaire. Elle tient également le pari audacieux depuis 2012 de diffuser tous les dimanches un documentaire en prime time, en dépit des risques de procès. Le pays jouit également d’un rendez-vous annuel consacré entièrement aux films documentaires, au rayonnement régional et international : le FIDADOC d’Agadir, qui fêtera cette année sa 8ème édition avec le soutien enthousiaste de Lioumness. L’engagement du FIDADOC se décline tout au long de l’année à travers la « Ruche documentaire » destinée à accompagner et promouvoir les auteurs et producteurs indépendants du pays, dont les projets les plus prometteurs sont sélectionnés pour une Résidence d’écriture au film documentaire de création de Safi, liée au réseau AFRICADOC.
Le rendez-vous hebdomadaire CASA/DOCKS proposé en partenariat avec Lioumness tous les lundis au cinéma ABC de Casablanca participe de cet élan à la dimension esthético-sociale radicale. Ce projet culturel inédit a pour triple ambition de redynamiser les salles obscures de la Ville Blanche, de valoriser la création documentaire, parent pauvre du cinéma, et d’encourager l’intérêt que portent les Marocains à leur propre cinématographie documentaire. Une projection mensuelle est consacrée au Maroc, les autres relevant d’influences maghrébines, arabes, africaines, méditerranéennes, asiatiques et sud-américaines. Une occasion précieuse d’aller à la rencontre de nos identités, de l’altérité et des palpitations du monde.
Lioumness vous propose ainsi d’interroger la densité du documentaire marocain à travers le regard de Alaa Eddine Aljem, réalisateur et producteur diplômé de l'ESAV et de deux jeunes réalisatrices, Raja Saddiki et Hind Bensari, qui ont travaillé sur leur premier film ensemble et dont les oeuvres aujourd'hui font le tour des festivals internationaux. Nous plongerons justement au cœur de ces objets cinématographiques, véritables fenêtres sur le monde, en explorant AJI BI : les femmes de l’horloge de Raja Saddiki justement, Rif 58-59 de Tarik El Idrissi. Enfin, Lioumness vous invite à un petit détour par la plateforme évolutive et quadrilingue « Connected Walls », qui propose aux internautes de briser virtuellement les murs qui séparent Mexique/Etats-Unis et Maroc/Ceuta, conduisant in fine à la réalisation de web documentaires expérimentaux à suivre en temps réel.
Et pour clore ce tour de piste de la réalité saisie à vif, Lioumness vous propose la sélection pointue de 12 documentaires sortis en 2015 à voir absolumentd'après Reda Benjelloun (2M TV), Hind Saïh (FIDADOC, Bellota Films), Alaa Eddine Aljem (Moindre geste production), et Sarah Lamrini (DocMa, Arkhabil Films).
En somme, une rétrospective sur nos coups de coeurs et rencontres de 2015 qui annoncent un futur prometteur pour la production documentaire marocaine.