Mon père, le Maroc et moi de Driss Ghali
Mon père, le Maroc et moi de Driss Ghali est l’histoire d’un deuil impossible ; d’un père, d’un ami, et d’une certaine idée du Maroc.
Le livre est une chronique sociale du Maroc contemporain qui n’épargne rien, et où l’auteur ne s’épargne rien. Le narrateur n’a pas peur d’aller au bout de ses interrogations et ses conflits internes, de torturer ses idées jusqu’à l’épuisement, pour vivre ce deuil pleinement, et espérer le dépasser - un peu.
Installé au Brésil depuis plusieurs années, l’auteur reçoit l’annonce tant redoutée en terre d’exil ; la mort brutale de son père sur la voie publique à Rabat. Commence alors le voyage douloureux du “retour”, où tout devient une épreuve : l’aéroport, la police, le cimetière, la mosquée, l’administration, la banque… Autant d’occasions d’apprendre dans les pires conditions, à ouvrir les yeux sur une société archaïque, corrompue et pétrie de faux-semblants.
“Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir.” R. Char
Son père, c’était son médiateur pour mieux comprendre le Maroc. Une sorte de grille de lecture à la fois complexe et unique qui lui permettait de nuancer les choses ; avec la sagesse et la désinvolture de ceux qui en ont vu d’autres, et à qui les années ont appris à choisir les combats.
Enfant du protectorat, son père appartenait à une génération qui savait faire preuve d’un pragmatisme extrême. Il était pleinement marocain et savait tirer profit des codes de l’éducation à la française. Il n’a pas gardé de traumatisme particulier de cette époque, contrairement à la génération suivante, qui, elle, est en pleine crise identitaire.
Lucide, l’auteur sait qu’avec la perte de son père c’est tout un monde qui tire sa révérence. Des témoins précieux d’un Maroc possible, plein de promesses, réconciliés avec le passé et tournés vers l’avenir. Une certaine idée du Maroc disparaît et avec elle un rempart contre l’ignorance, une certaine complexité et une poésie.
Toutes ces anecdotes avec son père, leurs longues conversations, leurs points d’entente et leurs désaccords, il a décidé de les consigner pour mieux les préserver et les chérir. Un devoir de mémoire aussi envers les générations futures afin de perpétuer le souvenir, et le romancer un peu pour qu’il résiste au temps avec plus de vitalité…
BHALIL البهاليل, « le charme de la nuit »
Sur la carte des souvenirs de l’auteur, Bhalil, le village natal de ses parents, a une place particulière. Ce petit village de la région de Fès a le goût du Maroc doux, qui se donne à vivre. Bhalil souffre cependant de plus en plus de l’émigration massive de ses habitants, du changement climatique qui menace son agriculture, et du recul de la démocratie locale et de l’Etat. Bhalil, c’est un peu un laboratoire social pour l’auteur et un marqueur de l’évolution civilisationnelle du pays.
À travers Bhalil, l’auteur interroge le rapport à la terre, aux racines et au pays d’origine. Cette matrice première qui nous fonde et que l’on transporte ensuite partout avec nous…
“Pour moi, Bhalil n’est ni un refuge ni une prison, c’est un lieu comme un autre sur la carte de mes souvenirs. Mon fantôme à moi, c’est le Maroc. Où que je sois, mon pays est en moi, avec ses beautés et ses défauts. Quoi que je fasse, il est en moi. L’émigration absolue est impossible, je suis un petit Maroc transposé au Brésil. Mon père est parti, Bhalil est resté. L’avenir sera fait de ce que ses habitants voudront bien entreprendre. Plus je pense à eux, plus je nous trouve des ressemblances. Nous avons tous envie de vivre, jouir et savoir ce qui se passe après la mort. Nos névroses, nous les vivons avec plus ou moins de talent et d’humour, c’est tout. “
UN RENDEZ-VOUS MANQUÉ AVEC LA MODERNITÉ
Durant son périple au Maroc pour s’occuper des obsèques de son père, l’auteur a eu l’occasion de constater avec une plus grande acuité la corruption et la décadence morale de la société marocaine actuelle. Il recevait toutes ces petites violences du quotidien de plein fouet, et sa perméabilité aiguë ne l’aidant pas, se retrouvait plongé dans un abîme d’interrogations. Il prend à partie les élites et les institutions qu'il estime responsables de cet échec, et fait le constat amer du rendez-vous manqué avec la modernité.
Selon lui, le Maroc a perdu une chance de se connecter vraiment à la modernité. Pendant les années 60-70 qu’il appelle la “génération magnifique”, devenir modernes ou commencer à l’être était possible. Mais le Maroc a raté cette occasion, cette capacité de rencontre entre le Maroc et le "sérieux “l’ma39oul”.
La génération de son père n’a pas réussi à former une masse critique pour transformer la société en profondeur. Après avoir enrayé les élans réformateurs et progressistes de l’époque, le pouvoir a privé le pays d’une élite engagée et responsable. “Elle était certes moins diplômée que la génération d’aujourd’hui, mais elle avait envie !” Contrairement à aujourd’hui, où les gens brillants ne sont plus investis, et où ils semblent avoir le choix entre entretenir leur déni et quitter le pays.
Entre la réalité foudroyante dans laquelle il a été plongé sans préavis, et les souvenirs qu’il convoque pour s’y réfugier, l’auteur nous entraîne dans son “flux de conscience”, à la fois angoissant, intransigeant et cynique, où le seul salut se trouve dans un héritage intellectuel et affectif considérable, et la possibilité d’un regard nouveau, lucide sur la réalité.
A propos de l’auteur
Né au Maroc, lauréat de l’EDHEC et de l’Ecole Centrale de Paris, Driss Ghali a fait carrière à l’international dans le domaine de la haute technologie. En entreprise, il a eu à gérer des crises qui l’ont amené à constater comment des minorités agissantes étaient capables d’emporter l’adhésion du plus grand nombre, non par la supériorité de leurs thèses, mais par leur admirable compréhension du besoin élémentaire de protection ressenti par tout un chacun. Ayant découvert Galula par le plus grand des hasards, il a immédiatement trouvé en sa pensée des clés pour comprendre la nature politique de l’homme et de son comportement en situation de danger.