"Pluie de sueur" de Hakim Belabbes : chronique naturaliste du Maroc rural
Après avoir fait la tournée des festivals - Dubai, Carthage, Rotterdam, Munich et Le Caire - et raflé de nombreux prix dont celui du Meilleur Film à Oujda, Tanger, et Montréal au festival "Vues d'Afrique", Pluie de sueur, le dernier long métrage de Hakim Belabbas, sort enfin en salles au Maroc et "hisse le cinéma marocain à un autre niveau" d'après Nabil Ayouch, producteur du film.
Pour son 6ème long métrage, Hakim Belabbes s'est inspiré de sa rencontre à Bejaad, sa ville natale, avec un pauvre fermier, qui comme son personnage principal Mbarek, s'est retrouvé criblé de dettes et a tout perdu. Le film raconte ainsi l'histoire tragique de ce Mbarek, fier et orgueilleux, qui porte à bouts de bras sa petite famille alors que la sécheresse et le sort s'acharnent sur eux. Il vit sur la terre de ses aïeux avec sa femme Aida, enceinte, leur fils adolescent Ayoub, atteint du syndrome de Down, cette "créature, khli9a", qui n'est bonne qu'à faire pâturer le bétail, et son père, absent, dont les moments de lucidité sont aussi rares que précieux.
Très vite, son obsession de trouver de l'eau devient auto-destructrice, et bien que mis en garde par Aida, à mesure qu'il creuse son puits sec, on l'imagine creuser sa propre tombe. La métaphore filée de l'eau renvoie justement à la vie, et son absence, à la mort, ce qui constitue pour Ayoub une prise de conscience fondamentale et signe en quelques sortes la perte de son innocence. Le jeu du jeune acteur est d'ailleurs remarquable, et même lui n'échappe pas à la réalité crue de la caméra de Belabbes.
Le rôle de la mère, interprétée par Fatima-Ezzahra Bennaceur, est également très intéressant car si Mbarek se bat pour trouver des solutions à leurs problèmes financiers, c'est elle le véritable pilier émotionnel de la famille qui prend soin de tout le monde, tout en contenant ses propres angoisses et frustrations. À la colère de Mbarek s'oppose sa tendresse et sa bienveillance à toute épreuve. Mais sa diligence n'est pas non plus une forme de soumission, et certaines de ses répliques frappent fort, comme lorsque son époux lui suggère d'apprendre à son fils à devenir un homme plutôt que de perdre son temps à l'école, à quoi elle répond "parce qu'il est possible de faire des hommes sans éducation ?".
Inspiré du néonaturalisme italien, le réalisateur rend ici hommage à ce "Maroc inutile" où les petites gens ne comptent pas. Rarement dans le cinéma marocain on a su capter avec tant de justesse et d'humanisme la complexité des Hommes, des rapports familiaux, de l'amour, et de la religion, omniprésente, à la fois comme un refuge et une fatalité. Pluie de sueur est aussi une histoire d'héritage, de transmission, d'attachement à la terre et de toute la fierté qui en découle. Cette terre, c'est tout ce qu'il reste à Mbarek, et il est prêt à tout pour honorer la sueur de ses ancêtres.
Côté image, les cadres hyper serrés et longues focales écrasent les perspectives et enferment les personnages dans leur misère pour créer un sentiment d'oppression alors même que les rares plans d'ensemble révèlent leur isolement face à l'immensité qui les entoure. Le cinéma de Hakim Belabbas rappelle ainsi celui de Ken Loach, qui lui aussi passe du documentaire au drame social en s'inspirant de ce qu'il connait pour dénoncer l'injustice, l'humiliation, et la cruauté. On regrettera simplement les quelques longueurs et élans oniriques en rupture avec le traitement hyper réaliste qui définit paradoxalement une très belle esthétique du Maroc rural, des rides creusées de poussière aux macros de la vie qui subsiste dans la terre aride.
Et si l'image est soignée, le travail du son est également précis : les silences, les murmures, les soupirs, le bruit des mouches qui volent et les déglutitions amères finissent de compléter cette atmosphère pesante où la musique, introduite sur la dernière demi-heure - le film dure 2h06 - annonce la libération funeste.
On ressort de la projection avec un profond sentiment de douleur et d'empathie et en ce sens, le pari est réussi.